L. et C., ensemble depuis 46 ans
(allée
Charles Grosperrin)
par Tecla
raunaud Rispal et Zsazsa mercury
Zsazsa.
Monsieur M. pourriez-vous nous raconter votre histoire, notamment
votre arrivée ici, chez votre grand-mère ?
Lucien.
Je suis allé chez ma grand-mère à l’âge
de 14 ans, en 65 environ. Elle habitait
avec sa fille, dans une des tours de la cité —celle qui
est en face du stade —, et donc j’ai emménagé
avec mon frère aussi, qui avait deux ans de moins. J’y
ai vécu jusqu’à l’âge de 20ans, donc
j’ai vécu 6 ans déjà dans la cité,
juste avant de partir à l’armée. À
l’époque, on était très sportifs,
on avait une grande place à côté du centre
commercial, où on jouait au ballon. Mais les dames qui
faisaient leurs courses, on arrêtait de jouer, on allait les
voir et on les aidait. Ensuite, ma grand-mère a déménagé
— parce qu’il lui fallait un appartement plus grand—
au 4 avenue Charles Grosperrin : coïncidence, dans le
bâtiment ou je suis aujourd’hui. On est arrivés
ici le 15 mars 82.
Zsazsa.
Je me demandais - en voyant certains films, des archives de l’époque
- si, au moment où la cité a été
construire et un peu après - elle a été
construite en 57, les années 80 c’était quelques
années après -, c’était une ascension
sociale d’accéder à ce type de logement?
Lucien.
Non, pas du tout. Justement, on venait de Nancy, donc on avait un
super appart - à Nancy et à Metz.
Catherine.
Moi quand je suis arrivée ici je ne me plaisais pas hein,
pendant des années, des années, mais la seule chance
qu’on ait eu c’est qu’il y ait eu une
réhabilitation très vite…
Lucien.
Oui, en 84.
Catherine.
Ils ont agrandi l’appartement, fait une terrasse extérieure
un balcon, ça nous a agrémenté un peu mais…
C’était pratique le métro à ma porte et
ainsi de suite... Mais je ne me suis jamais trop plu dans ce
quartier. Jamais trop…
Zsazsa.
À quoi vous ne vous faisiez pas ?
Catherine.
À tout. Il y avait quelque chose qui me plaisait pas, mais je
saurais pas vous dire vraiment. Je ne me suis jamais sentie bien dans
ce quartier…
Zsazsa.
Et vous ?
Lucien.
Moi si, comme un coq en pâte — c’est comme ça
qu’on dit non ? Ah oui, moi oui, je me suis toujours senti
bien : la ville me plaisait.
Catherine.
Et puis tu voyais beaucoup de gens alors que moi… Moi c’était
pas pareil.
Lucien.
Comme je suis quand même très bavard, j’allais
vers les gens, au lieu que les gens viennent vers moi. Et je me
sentais très bien. D’ailleurs, je rentrais tard le soir
— et moi ça me dérangeait pas — jusqu’à
un certain moment où je voyais plus ma fille : donc j’ai
dit « faut que j’arrête »,
et alors ensuite j’ai arrêté.
Tecla.
Il y avait une vie de
quartier à ce moment-là ?
Je
n’ai jamais participé vraiment, mais il y a eu
plein de choses. Je suis passée à côté de
tout ça… Quand une amie m’en
parle, elle me dit : « mais si, tu te
souviens pas, il y ’avait des petites fêtes, on faisait
des fêtes, on faisait des barbecues, des choses… ».
Zsazsa.
En regardant des archives, on perçoit
une espèce de douceur de vivre, les gens ont l’air
d’être très contents d’arriver ici, qui se
sentent valorisés etc.
Lucien.
Vous avez raison. J’avais six ans,
et c’est vrai que je me suis fait des copains tout de suite…
Et « l’ascension sociale », comme vous
dites : un bel appartement…
Catherine.
Quand on est arrivés les gens faisaient plus attention...
C’était familial, et les gens se connaissaient,
maintenant plus personne ne se connaît — et ne veut se
connaitre d’ailleurs. Je peux vous dire que dans mon entrée
même, on vous croise et on vous dit même pas bonjour :
ils ferment leur porte d’appartement. Mais avant c’était
diférent, je ressentais plus ça
comme familial.
Zsazsa.
Vu que par rapport à votre épouse vous vous êtes
sentis tout de suite très bien ici, est ce que vous pensez que
c’était lié au fait que vous rentriez chez vous,
dans la mesure ou vous habitiez là avec votre grand-mère ?
Est-ce que vous n’étiez pas déjà dans vos
marques ?
Lucien.
Oui, c’est vrai. J’étais dans mon contexte,
j’avais encore des anciens copains, que je revoyais.
Catherine.
Ta grand-mère aussi, qui était en vie encore…
Lucien.
J’avais 32 ans à l’époque, c’est vrai
que j’ai refait une année de foot avec mes anciens
copains, je me suis remis dans le bain. Même ma grand-mère,
j’allais la voir très souvent, ma femme lui faisait ses
courses... Pour moi, de ce côté, j’ai pas eu à
me plaindre. Et là, voyez : pour dire que j’en ai
marre, c’est que c’est moi le premier qui ai dit à
ma femme « on va s’en aller, on va essayer de
trouver quelque chose en province n’importe où »,
si on a de la chance au bord de la mer, quelque part ou on pourra
finir notre vie…
Catherine.
C’est dommage, parce que moi
maintenant que je me plais dans mon appartement, on va être
obligés de partir, à cause du contexte.
Lucien.
Moi ce qui m’embête c’est ma maladie hein, si
j’avais pas ma maladie…
Catherine.
Sinon ça ferait très longtemps qu’on e serait
plus là. Mais ça m’ennuie, parce que j’ai
des amies…
Zsazsa.
Quand vous êtes
arrivés dans les années 80, vous étiez très
investis dans le quartier, et vous avez fait un lien avec la
réhabilitation qui a eu lieu… Est-ce que vous avez été
partie prenante de cette consultation citoyenne ?
Lucien.
Moi j’y ai participé. Par contre, l’OPHLM avait
fait un calcul du loyer, et ils s’étaient vraiment
plantés en ce qui nous concerne. Parce qu’avec nos
revenus, on devait payer 25% du loyer en plus : mais
notre loyer a doublé.
Catherine.
À l’époque les
réunions se passaient… Chez nous en fait. On faisait
toutes les réunions chez les particuliers, donc c’était
sympa hein !
Zsazsa.
Comment ça se passait ? Vous avez des souvenirs ?
Catherine.
C’était sympa, on parlait
de tout, on a demandé tout ce qu’on souhaitait, ils nous
montraient toutes les réalisations qu’ils allaient
faire… C’était très
très sympa.
Zsazsa.
Vous demandiez quoi ?
Catherine.
Au début c’était
très très particulier, parce que notre entrée a
toujours été… Ils m’ont fait une grande
salle de bain, alors que les autres ont une petite salle de bains,
toilettes à part. C’est une sorte « d’appartement
test ». Ils ont fait une entrée test en demandant
aux gens ce qu’ils souhaitaient. Moi je voulais une plus grande
cuisine, parce que ma cuisine était toute petite : elle a
doublé de volume par l’extérieur. Et ce que
j’aurais aimé, c’était une grande entrée.
Ils devaient tout faire, et en fait c’est mes voisins qui ont
eu ce que je voulais — et moi j’ai eu autre chose. Mais
bon, c’est pas grave…Normalement tout le monde devait
avoir une terrasse, une extension et… Et comme ça avait
coûté très cher, ils n’ont pas poursuivi :
donc le reste de l’immeuble a été fait plus
sommairement.
Técla.
Comment étaient choisis les appartement test ?
Catherine.
Ils devaient réhabiliter cet immeuble, et ils ont commencé
par notre entrée, par tous nos appartements. On a eu tout ce
qu’on voulait, et je pense qu’ils ont dépassé
le budget parce qu’ils ont transformés certains
appartements en très grands appartements. Ils ont dû
faire une entrée test, et puis, ça a duré plus
longtemps que prévu, les travaux.
Z.
Combien de temps ?
Lucien.
Au moins un an.
Técla.
Vous avez fait une réunion où vous avez été
obligés de venir ?
Lucien.
Non, on n’était pas obligés de le faire. C’était
une proposition. C’est pour ça que je reviens sur le
prix du loyer, parce que ça dépendait à
l’époque, pour beaucoup de personnes, du prix du loyer.
Ils se sont plantés.
Catherine.
Il y a des gens qui ne sont pas restés,
parce que les loyers ont doublé.
Lucien.
Et pourtant, c’était des gens qui gagnaient leur vie.
Nous on s’est fait avoir au niveau
des impôts locaux, elle nous l’a dit la fille. Ils
se sont trompés : pendant 5 ans on a payé 1100 ou
1220 au lieu de 400 ou 500. Là ça va, on paie plus.
Catherine.
C’est pas dramatique mais… On a eu à peu près
ce qu’on voulait.
Zsazsa.
Est ce que vous avez
entendu parler du plan de rénovation urbaine,qui est prévu
dans le quartier ?
Catherine.
Écoutez on entend plein de choses, moi j’assiste pas aux
réunions, vaguement, ouais.
Lucien.
On parle beaucoup de 2024, de ce qui va se passer juste à coté
là… Le Grand Paris. Après on a dit qu’on
allait faire la piscine olympique ici…
Catherine.
On entend ça depuis très longtemps : on ne sait
pas réellement ce qu’il va se passer.
Zsazsa.
Vous êtes allés aux réunions citoyennes ?
Vous les avez-vues passer ?
Catherine.
Non. Non, ou alors ils sont peut-être venus quand on était
pas là.
Zsazsa.
Enfin « passer », je veux dire est ce que vous
avez vu passer l’annonce ?
Catherine.
Non.
Lucien.
Moi la citoyenne j’y ai participé, il y a 4 ou 5 ans
j’y ai participé.Je me
battais pour les parkings. Alliance citoyenne, l’association —
elle existe encore je pense. Moi je me suis battu pour les parkings,
pour qu’on les paie plus, parce que la barrière elle
était bloquée pendant trois ans — deux ans et
demie. Donc je me suis battu, on a été reçus par
le président des HLM, qui a cédé : il nous
a accordé douze mois, il nous a remboursé douze mois.
Et ensuite ils ont mis des « garde
fous » en béton pour pas que les gens viennent de
l’extérieur.
Catherine.
Parce qu’ici c’était épouvantable : on
pouvait pas se garer, les places prises…
Lucien.
Et là, aujourd’hui encore le problème n’est
pas solutionné puisque les gens font faire un badge, un
double, et ils passent quand même. Il y a beaucoup de vols de
voitures, et ils trafiquent… vous savez il y a un garage
derrière, et il y a beaucoup de jeunes — ou moins jeunes
— qui sont mécanos au départ, qui travaillent au
noir. Donc les jeunes volent des voitures, et ils
viennent démonter des pièces et les remontent sur des
voitures.
Catherine.
En ce moment, c’est un peu catastrophique…
Zsazsa.
Si une partie de la cité
Émile Dubois était détruite, ça aurait
quelle incidence sur le quartier, quel impact ?
L.
Déjà que les gens se
côtoient de moins en moins, à mon avis… Il y a
quand même des gens qui vont jamais à Carrefour, qui ont
leur petit commerce…
C.
Parce qu’il y a déjà eu tellement de projets qui…
Détruire pour reconstruire ça
peut être bien : si ils font ce que j’ai vu, les
jolis petits immeubles, ça peut être très très
bien, mais je ne sais pas ce qui peut être fait. À la
Courneuve ils ont fait de très jolies choses, mais au niveau
du loyer c’est quand même cher. Ma fille a eu un
appartement comme ça au début : les appartements
étaient super quand ils ont écroulé des
immeubles aux 4000, ils ont reconstruit ce type d’appartement.
C’est très joli, mais c’est hyper cher : je
crois que c’est 1100 euros…
Z.
Ça veut dire que ça change la population alors, la
fameuse gentrification ?
C.
C’est peut être le but hein. Ils
veulent peut-être changer les populations, hein.
L.
Avant, il y a une vingtaine d’années, je discutais
facilement avec les jeunes : je leur faisait la morale, et tout.
Pas seulement la morale mais je discutais. Aujourd’hui non. Je
leur dis « bonjour ça va », je
passe.
C.
Is vous croisent ils vous disent même
pas bonjour.
L.
Les gens me respectent quand même: « bonsoir
monsieur » et tout, quand il arrive une histoire…
Y’a pas si longtemps que ça, je suis allé les
voir et puis « non non vous inquiétez pas
Monsieur, on respecte votre dame » et tout. Avant je
rigolais avec eux. Je jouais même au ballon de temps en temps.
Z.
Mais qu’est ce qu’il s’est passé alors ?
L.
Le changement de mentalité des jeunes. Pour moi ça va,
parce que moi ils me disent encore bonjour, mais beaucoup de jeunes
ne respectent plus les femmes âgées, par exemple.
C.
J’aimerais bien que ce quartier il revive comme avant, qu’il
soit…
L.
Ils sont mal élevés. Quand je vois des gosses dehors
jusqu’à je sais pas quelle heure…
C.
On a tous été enfants, on a tous fait des bêtises,
arraché des fleurs, mais là ça prend des
proportions…
L.
Quand tu vois des gosses qui prennent des cailloux et qui dégomment
les chats, faut qu’ils aient de la vacherie dans la peau. Et
s’ils font ça, c’est que les parents ne disent
rien.
C.
Ben tu les vois pas les parents : regardez la cité, vous
voyez personne. Il est 11h du matin, vous voyez personne : ils
sont chez eux et voilà, ils s’en foutent.
Z.
Il n’y a pas de vie
de quartier ?
C.
Il y a pas de vie de quartier ? Non.
L.
Du temps de ma grand-mère c’était… on
jouait au foot, dès qu’une dame passait avec son panier,
on s’arrêtait.
C.
Vous les entendiez parler dans le couloir, on se disait bonjour. Là,
vous n’entendez plus rien.
Z.
À l’époque
la mairie organisait beaucoup de choses, beaucoup d’activités…
C.
Oui, il paraît.
L.
Quand j’étais jeune j’étais
le premier à vouloir aller en colonie.
C.
Il y avait beaucoup de choses…
Les dames se retrouvaient, faisaient un
gâteau, des choses comme ça.
Z.
Il y avait l’espace Cachin
C.
Oui oui ils faisaient des tas de choses, là. Ils
faisaient plus de choses là-bas. Il y
avait des balançoires pour les enfants… Et c’est
là qu’elles se rencontraient, toutes ces dames.
L.
Avant, il y avait un square : on jouait au foot à coté
parce qu’on avait pas le droit de monter sur la pelouse.
C.
Ah ouais, il y avait plein de choses.
Z.
Ca a été remplacé par quoi ce square ?
C.
L’école, la petite école maternelle… Tu
sais, les années passent on se rend pas compte mais…
C’est un petit peu tristounet le
quartier maintenant… Je
vois les gens de mon âge : on se rencontre, puisque le matin je
sors… C’est ces dames-là que je rencontre…
Z.
Vous avez entendu parler de l’aquarium ? L’association
des femmes ?
C.
Non.
T.
Est-ce que vous trouvez que la place des femmes a changé dans
cette cité depuis que vous habitez ici ?
C.
Comme la population a changé ces femmes ne s’intègrent
pas, donc je sais pas si leur place a changé ou non.
Z.
Qu’est-ce que ce serait pour vous « habiter un
lieu » ? Comment êtes-vous arrivés à
vous approprier ce logement ?
C.
Ça a pris du temps, beaucoup de
temps.
L.
Ben toi ta réponse est facile, puisque c’est toi qui as
tout fait ici — sauf le sol : le carrelage, c’est
moi qui l’ai posé.
C.
Ben moi j’adore, je me suis approprié ce logement parce
que je travaillais énormément et je suis pas beaucoup
sortie… On a beaucoup voyagé…
C’est par époque nous, qu’on fait les choses.
Avant l’an 2000, on a fait plein de voyages, on est partis
partout dans le monde. Et après mon mari est tombé
malade…
L.
Comme les bourgeois, on a beaucoup voyagé… [rires].
C.
Avec nos comités d’entreprise, on a connu plein de
choses qu’on n’aurait pas connues si on l’avait
fait à nos frais. Nous, c’est par tranche comme ça,
donc pendant une dizaine d’années on a beaucoup voyagé.
L’appartement par contre a toujours euh… Moi je change
tout le temps dans l’appartement, tous les dix ans tout change
hein : les couleurs, les trucs, les sols les meubles, tout
change. Et après, mon mari était malade donc j’ai
vécu plus dans mon appartement. J’étais partie du
matin au soir, je n’y étais là que le week-end,
mais malgré tout j’ai toujours attaché de
l’importance à mon appartement. Parce que c’est
l’endroit où on se sent bien. À
partir du moment où on peut plus trop bouger — là
on peut plus aller au cinéma, on allait très souvent au
cinéma : on peut plus avec son oxygène… —
donc j’ai attaché de l’importance à mon
appartement. Bon, il n’est pas encore tout à fait comme
je veux, ça va bientôt être fini, mais je me suis
dit : « je vais m’approprier cet appartement
de façon à ce qu’on soit bien, a ce qu’on
ait le ressenti qui nous convient, et qu’on ait envie de
rentrer à la maison ». Je
n’avais pas envie de rentrer chez moi, quand je sortais du
métro et que je voyais cet immeuble ça me glaçait
le sang. Donc, j’ai fait en sorte que mon appartement, mon
balcon… Tous les gens passent et ils me disent « Oh,
il est beau » mais non : c’est parce que je
me sens bien, j’aime bien les fleurs… Mon mari me
dit : « tu fais ça pour épater
les gens ». Non, j’épate personne, j’fais
ça pour me sentir bien. Maintenant, j’ai ma terrasse,
mes fleurs… J’ai l’impression d’être
dans une maison. Vous vous levez le
matin, en été, vous entendez les oiseaux, vous avez la
verdure… Franchement je me sens très bien. Mon
appartement, je l’ai fait à mon image et je m’y
sens bien.
Z.
Alors comment vous avez fait pour le décorer ?
C.
Je regardais énormément toutes les émissions de
déco, les magazines, et voilà : j’me suis
fait ma maison. D’ailleurs vous n’avez peut-être
pas vu le mur… Des têtes de mort ! [rires].
Voilà, c’est un peu particulier… Mais je dis pas
à tout le monde que nos papiers peints sont des têtes de
mort, parce que si les gens entendent ça ils vont dire « mais
elle est pas bien » [rires]. J’ai
commencé un petit peu… Après, Paris, j’adore
Paris, donc j’ai mis Paris sur mes murs…
Z.
C’est vous qui avez fait les travaux ?
C.
Oui, c’est moi qui les ai faits.
L.
Elle a tout fait : tout, tout, tout, tout.
C.
Ah moi j’adore, moi la déco c’est ma passion
[rires].
L.
Regardez : la cuisine, elle a même peint la cuisine en
noir, pour que ça fasse morbide. Elle était blanche,
elle était bien en blanc.
C.
Jaime beaucoup le noir [rires].
Je me sens bien quand il n'y a pas trop de lumière, pas trop
de… Je me sens bien.
Z.
Et est-ce qu’il y a des objets ou des meubles dans cette maison
qui témoignent de la
vie dans cette cité?
C.
Non. Je ne me plais pas dans le quartier mais je me plais dans ma
maison. La seule chose que j’aime c’est que le métro
soit à ma porte et que je puisse aller partout vite mais…
Moi j’aime ce petit coin là, le quartier : juste
ce coin-là.
Z.
Une question un peu abstraite : est-ce que vous considérez
vivre en banlieue ; et si c’est le cas, qu’est-ce
que c’est la banlieue, pour vous ?
C.
C’est justement là que le
bât blesse avec Lucien. Parce que lui, quand vous l’écoutez,
il vit « dans une cité en banlieue ».
Quand vous l’entendez parler c’est toujours « dans
la cité ». Pour moi j’habite dans un
appartement : c’est comme si j’habitais Paris ou…
Je ne me sens pas spécialement vivre en banlieue… Ayant
le métro à coté, le 19e juste à
côté, pour moi, je suis dans mon appartement c’est
tout. Je ne m’estime pas en banlieue. Non, moi non. Lui, lui il
s’estime en banlieue, dans une cité en banlieue —
le mot cité, vous l’entendez tout le temps dans son
vocabulaire.
L.
Oui c’est vrai, elle a raison, parce que pour moi…
J’aime pas mettre la barre trop haut, donc je suis… Je
vis dans mon appartement, mais mon appartement est situé dans
une cité.
C.
Non, je n’ai pas l’impression
d’habiter dans une cité de
banlieue, on est quand même très proche de Paris.
L.
Pour moi c’est une cité ici : j’habite dans
une cité.
C.
Oui mais c’est peut-être le
fait qu’il y ait vécu, qu’il y soit presque né,
qu’il y soit… Moi je ne
suis pas née ici, je ne suis pas née dans le même
contexte…
L.
Quand j’étais petit, quand je suis né, j’habitais
dans un « appartement ». Un grand
appartement où on montait avec des marches casse-gueule et
y’avait du charbon, pour se chauffer.
T.
Et à quelqu’un qui connaîtrait pas cette cité,
vous la décririez comment ?
L.
C’est une cité où tu
trouves pratiquement tout, des commerces, une école —
bon, ce n’est qu’une école maternelle mais…
—, il y a une école aussi, une école primaire, et
pas loin une école secondaire. Elle est bordée d’un
stade qui occupe pas mal de jeunes d’Aubervilliers. Voilà,
on a pas tout, mais on a le principal.
Il nous manque juste la piscine olympique [rires].
T.
Et les couleurs ?
L.
Alors les couleurs par contre ça laisse à désirer
parce que…
C.
[rires] Y’a pas d’couleurs.
L.
Notre cité des 800, ça
laisse à désirer. J’aurais aimé un ton
bleu, vert, orange, pourquoi pas... Appeler les bâtiments par
leur couleur, ça aurait pas été mal, ça...
J’suis un beau parleur quand même hein ?
Z.
Est-ce que vous avez souvenir de petites histoires du temps passé ?
L.
À part le cambriolage qu’on a connu en 95, où
j’ai attrapé les deux malfrats… [rires]
C.
Il y avait une famille en bas, les mômes
étaient un peu livrés à eux même - mais
c’était pas comme maintenant, c’est pas des
enfants qui faisaient n’importe quoi — : ils étaient
assis, ils jouaient aux cartes, et une
amie à moi venait des fois et… [rires]. Un jour
ils jouaient au poker les mômes et — ils étaient
petits hein - elle arrive et elle était habillée en
blanc. Et elle dit « bonjour les enfants »,
donc ils commencent à la regarder l’air de dire « d’où
elle sort celle-ci » ; « vous êtes
en train de jouer à quoi, à la belotte ? »
et les mômes : « on est en train de ’jouer
au poker, t’as rien compris toi ». Oh, et après
[rires] chaque fois qu’ils la voyaient ils se moquaient
d’elle et tout mais c’était, dans le quartier
c’était unique.
L.
Oh et le chat qu’était en chasse…
C.
Ce chat il était pas en chasse,
il voulait tout le temps entrer chez moi. Tout le temps il venait sur
les fenêtres, parce qu’à l’époque,
j’avais une minette et il voulait venir chez moi. Et mon amie,
qui le coursait — alors, elle le chassait — et après
elle descendait dehors avec une casserole d’eau, elle le
coursait, et les gens la regardaient… Qu’est-ce
qu’on riait. Ils se moquaient
d’elle, comme ça, mais c’était pas des
insultes : maintenant elle se ferait traiter de… Là
c’était très très amusant à cette
époque-là.